Chronique | Un livre, une vie : L’histoire de Pierre

Chronique "Un livre, une vie" - L'histoire de Pierre

À la rencontre de Pierre

Avoir 40 ans, être dans la fleur de l’âge, au sommet de sa carrière, à l’aube d’une nouvelle histoire d’amour, et apprendre qu’une maladie s’est emparée de nos cellules. Une maladie des plus redoutables qui commence par un C, qui glace le sang dès qu’on entend son nom, et qu’on redoute tellement qu’on se persuade qu’elle n’arrive de toute façon qu’aux autres. Je ne parle pas de la Covid non, je parle du Cancer, fléau suprême des temps modernes qui attaque sans crier gare les moins jeunes comme ceux qui se croient invincibles.

Quand Pierre m’appelle, sa voix semble avoir bien plus que la quarantaine. Ses mots sonnent lourds, une toux inquiétante les interrompt sans cesse impoliment, une fatigue immense les enrobe de lenteur. Pierre n’y va pas par quatre chemins, évitant tout détour comme si son énergie était comptée et son souffle à économiser : il « est malade depuis des mois », il sent que « c’est bientôt la fin », il veut écrire un livre pour ses filles, ses deux petites filles de 4 et 6 ans, « pour leur dire ce qu’il aurait aimé leur dire, ce qu’il voudrait qu’elles sachent, sur leur père, sur la vie, sur ce qu’il faut savoir pour ne pas se planter ».

Il n’y a pas d’émotion dans son discours, juste de l’aplomb, de la détermination : il veut, il doit transmettre son ultime message, au plus vite, avant qu’il ne soit trop tard. Je ne travaille pas aux urgences mais, tel un médecin du 15, je me sens en proie à un compte à rebours irrépressible face à un patient au seuil du gouffre ; en charge d’un besoin profond, urgent, vécu comme vital.

Je mets sens dessus dessous mon agenda de working mum pour retrouver Pierre dès le lendemain matin, ma plume pour stéthoscope. Allongé dans son canapé, le regard lointain comme s’il était déjà ailleurs, il me confie alors, avec le peu d’énergie qui lui reste, ses déceptions, ses souffrances, ses regrets ; ses réflexions existentielles aussi, avec le recul et la hauteur d’un homme qui sait qu’il va partir.

La vie ne nous aura laissé le temps que d’une séance… Ce n’est donc pas à proprement parler un livre mais plutôt une longue lettre que Pierre a pu léguer à ses filles. Certes, il n’a pas eu le temps de leur dire tout ce qu’il aurait aimé leur dire, mais je crois qu’il a réussi à leur transmettre l’essentiel et qu’il est parti en paix.

Pierre ne s’appelle pas Pierre et c’est en toute discrétion que je vous livre un extrait de ses derniers mots. Puissent-ils vous inspirer de l’audace, de la liberté et encore plus d’amour pour vos enfants.

« Je voudrais leur dire de toujours faire ce qu’elles veulent, de ne pas se laisser influencer par les diktats de la société, de faire ce qu’elles ont envie elles, quoiqu’en disent les autres et les mœurs. De ne pas se ranger à la vie et l’avis des autres. L’uniformisation des modes de vie est si prégnante aujourd’hui que le terme audace devient presque un gros mot et l’originalité un délit. Je voudrais que mes filles se sentent pleinement libres, pleinement elles, au-delà du poids des principes, des modes, des croyances, des valeurs imposées. Si j’en avais encore la force, je leur crierais : affranchissez-vous du regard des autres, émancipez-vous des normes, osez aller là où vous voulez, faire ce que vous voulez et être qui vous voulez !

Je voudrais leur dire aussi, et je le leur dirai sans détours, que, quoi qu’on en dise, le mariage, on s’en fout. On s’en fout de l’identité du conjoint, de la conjointe. En revanche, on ne s’en fout pas de l’identité du père et de la mère. Se marier, c’est une chose. Avoir des enfants, c’en est une autre, ô combien plus capitale et engageante. En gros, ne choisissez pas un bon mari : choisissez un bon père. Car si l’amour est fragile et éphémère, vos enfants resteront, envers et contre tout, ce qui compte le plus pour vous.
 », me dit-elle. 

Encore émue de vous partager ce dernier souffle d’amour d’un père parti cruellement tôt.

Je dédie ce message à ses petites filles et à tous les orphelins qui n’ont pas la chance qu’on leur laisse un dernier mot.

Envie de découvrir d’autres chroniques ? Cliquez ici.
Vous souhaitez devenir biographe ? Pour en savoir plus sur la formation, cliquez ici.
Et si vous êtes déjà prêt-e à embarquer dans l’aventure, c’est par ici.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *